Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Histoire du Genevois
15 décembre 2007

Louis Vuichard

Mon ami Louis Vuichard, de Savigny, né en 1912, est décédé le 21 juillet 2006 et j’en suis triste.

Pendant longtemps, presque voisin, j’avais entendu parler de lui et lu ses livres sans oser le déranger. En 1999 je me décidai enfin à lui rendre visite. Nous parlions généralement de sa vie et du courant démocrate-chrétien en Haute-Savoie. Il en évoquait les grandes figures locales, l’abbé Clavel, le docteur Voisin de Cruseilles, Charles Bosson... Figures pour lesquelles il gardait une énorme admiration.

Entre les deux guerres, la JAC s’opposa au mouvement d’extrême-droite Action française et plus tard, après quelques hésitations, elle appela à ne pas se rallier à Vichy.

Louis Vuichard eut une vie enthousiasmante et pleine de responsabilités professionnelles et politiques.

« En 1929 j’avais donc 17 ans. Je faisais partie des groupes d’Action catholiques qui consistaient en des réunions mensuelles autour de nos prêtres, de nos curés, où on discutait de religion, d’événements modernes etc. ».

Etant donné qu’il avait de l’instruction et un don pour captiver son auditoire, comme le courant démocrate-chrétien dirigé par des bourgeois manquait alors de leaders réellement paysans, Louis fut désigné pour occuper des responsabilités : « il fallait un paysan pour représenter , il fallait un paysan authentique ». « Fin octobre 1938 je suis donc parti à Paris au secrétariat général de la JAC ». Là-bas il fait de la radio et prépare le congrès de la JAC. « On est arrivé à proposer ce fameux carnet de salaire différé (…) On  avait pris rendez-vous avec le ministre de l’agriculture, qui était André Queuille ». Beaucoup de fils d’agriculteurs restés à la ferme, mal payés, ne recevaient pas plus que leurs frères et soeurs à la mort des parents. Le salaire différé permettra de les récompenser. Le but consistait aussi à ralentir l’exode rural, l’urbanisation et l’industrialisation.

Pendant la guerre, Louis exerce les fonctions de maire, situation peu confortable. En 1944 deux drames arrivent. Au Vuache un groupe de résistants assassine une famille d’Italiens. On retrouve le cadavre de la femme dans le bois à côté de Plamont, sous quelques centimètres de terre. Un bout de la robe dépassait.

On avertit Louis. Que faire ? Il faut quand même l’enterrer... Il va demander conseil au curé. Celui-ci réfléchit quelques secondes puis répond : "Louis ! Veux-tu aller remplacer la B... au fond du trou ?" . Autrement dit, sois prudent.

Deuxième incident, en juillet 1944 les Allemands font une rafle à Savigny et réunissent sur la place du village plusieurs habitants.

Longtemps, Louis fut en conflit avec Roger Tagand, ancien instituteur de Savigny, militant ou sympathisant PCF. L’Eglise/l’Ecole, la Démocratie-chrétienne/le PCF, des forces longtemps rivales. Un conflit qui a structuré la société. En 2001, L. Vuichard et R. Tagand s’étaient réconciliés lors d’une conférence historique sur le camp d’Olliet.

Après la guerre, Louis était devenu vice-président de la Chambre d’Agriculture, président d’honneur des Fermiers savoyards et président de la Fédération laitière.

A la fin de sa vie, il écrivit un livre sur les fruitières de Haute-Savoie, un autre sur l’histoire récente de Savigny (Au Pays des Ours, suite de la monographie écrite par Félix Fenouillet) et enfin une généalogie des vieilles familles de la commune. Il s’occupait de son jardin, lisait des biographies ou accueillait les visiteurs avec qui il partageait un verre de vin et quelques biscuits.

Il tenait beaucoup à l’appellation de « paysan ». « Quand je disais tout à l’heure que j’étais le seul paysan authentique, je le suis, je le suis resté, et je suis encore un vrai paysan à ma retraite ». « Je suis resté agriculteur, paysan, catholique. Je suis encore croyant, pratiquant, tout en respectant toutes les idées du monde comme j’aime que l’on respecte les miennes ». Autre devise qu’il affectionnait : « sois fier paysan, et crois ».

Dans nos discussions, revenaient des tournures de phrases bien à lui. « Moi, il faut bien dire, avec ma gueule assez bien embouchée et un peu d’instruction », "une combine courbe", "moi, avec ma gueule à ressorts".

Parfois il cherchait ses souvenirs. Vers 1920 « j’ai eu été une fois à l’école de Dingy, où il y avait... C’était un gars, ah le nom... le nom... ah tu vois..., qui était catalogué, gauchiste à bloc, anticlérical à bloc etc. Il y avait un instituteur... oh les noms.... ».

Lors de l’interview il s’exclamait : « il y a longtemps que j’ai pas dit ça ».

CONCLUONS

Au début du XXe s la JAC réconcilie les agriculteurs et la démocratie. Sans son action, il y aurait eu le risque que dans certains départements les agriculteurs passent en bloc du côté anti-républicain. Un risque de nouvelle chouannerie. Ceci dit, elle s'opposait avec virulence  à la gauche.

La JAC a aussi lancé le progrès technique dans les campagnes. Elle fait évoluer la condition sociale des agriculteurs. A partir des années 1960, les anciens JAC prendront des itinéraires variés, certains de ses membres évoluant vers la gauche et parfois même la gauche de la gauche (Bernard Lambert). Ce courant a eu beaucoup d’influence.

Espérons que dans son bulletin municipal la commune de Savigny rendra hommage à Louis. Il le mérite.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité