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Histoire du Genevois
15 décembre 2007

Le frère du sultan est en Savoie

A l’heure où l’on débat de l’entrée éventuelle de la Turquie dans l’Union européenne, dans une France où travaillent et vivent avec leurs familles plusieurs milliers de Turcs, penchons-nous sur l‘ancienneté de nos liens avec la civilisation ottomane. En voici un exemple ancien puisqu’antérieur aux bonnes relations entre François 1er et le sultan.

Dans son Annuaire de la noblesse (1868), Borel d’Hauterive dit ceci à propos d’Antoine de Montchenu, seigneur du Vuache et de Ternier, conseiller et chambellan du duc de Savoie, chevalier de l’Annonciade, bailli du Viennois et du Valentinois, chambellan de Charles VIII (2de moitié du XVe siècle) :

« Antoine de Montchenu dont le frère Jean fut évêque de Viviers en 1479, prit part à l’expédition d’Italie du roi Charles VIII. Il accompagna ce prince à Rome, où le pape Alexandre VI lui remit Zizim, frère de Bazajet, qu’il retenait prisonnier et qui avait déjà subi une longue détention dans les cachots du grand maître de l’Ordre de Jérusalem. »

get_img2A ma connaissance, c’est la seule source établissant un lien entre Montchenu et Zizim. Aucun autre document n’en fait mention. Il serait donc imprudent de prendre cela pour argent comptant. Ceci dit, vu les hautes fonctions détenues par Montchenu tant à la cour de Savoie qu'à la cour de France, la chose est plausible.

Que savons-nous sur ce prince turc ?

Djem ou Zizim (1459-1495) est le fils cadet du sultan Mehemmed II, le conquérant de Constantinople, et d'une princesse peut-être apparentée à la famille royale de Serbie. Ce sultan meurt brusquement en 1481 sans avoir désigné de successeur. Tout porte à croire qu'il se méfie de ses deux fils. Comme souvent, la succession est tourmentée car les sultans pratiquent une coutume turco-mongole consistant à considérer tous les fils comme ayant les mêmes droits à la succession, quel que soit leur ordre de naissance. Le successeur légitime est celui qui s'impose et peu importe la méthode.

Djem entre en conflit avec son frère Bajazet. Malgré le soutien du Grand Vizir, il se trouve en position de faiblesse. Bajazet l’emporte grâce au soutien des confréries religieuses, à son réseau de soutien (il avait beaucoup de gendres), à l'impopularité de la politique financière du Grand Vizir et surtout aux janissaires, corps puissant et efficace, dirigé à l'époque par un général albanais. Djem perd une bataille importante, se réfugie en Egypte, tente de revenir puis doit se résoudre à demander asile au Grand Maître de l’Ordre Saint-Jean de Jérusalem (les Hospitaliers, plus tard l’ordre de Malte) qui tenait l'île de Rhodes.

Il arrive sur l'île le 29 juillet 1482. Le Sultan, inquiet d'un éventuel retour, négocie. Il est convenu que Djem sera éloigné vers la France et que Bajazet versera une pension confortable pour son entretien. L'Ordre ravi de se voir considéré comme une grande puissance méditerranéenne se dit qu'ainsi Rhodes reste en sécurité. Pendant les années qui suivirent, Djem restera un des principaux soucis de la politique extérieure turque, ce qui donnera lieu à de nombreuses lettres, ambassades, négociations, traductions, envois d'espions etc.

Le 17 octobre 1482 Djem débarque à Villefranche près de Nice, terre savoyarde où il demeure quelque temps avec les Turcs qui l'accompagnent et les Chevaliers qui le surveillent. Il s'y plait et rédige quelques poèmes. Fort superstitieux, Louis XI qui agonise, craint que ces musulmans ne lui portent malheur et refuse qu'ils entrent dans son royaume. La troupe se trouve condamnée à rester en Savoie.

Elle quitte Nice et traverse la Maurienne où les Turcs sont fort étonnés de voir des traîneaux. La troupe arrive à Chambéry en février 1483 et le 20 du mois elle se trouve à Rumilly où réside le jeune duc Charles Ier, venu saluer Djem. Les princes sympathisent. Mais les Chevaliers de l'Ordre craignent que le duc aide Djem à s'évader et décident de continuer vers leurs châteaux de France, si protégés qu'ils ne craignent guère les soldats du roi. Comme Louis XI vient de mourir le 30 août 1483, ils s'estiment en sécurité. La troupe atteint Pouët en Dauphiné, Rochechinard, Sassenage et enfin Bourganeuf en Limousin où Djem demeurera quelques années.

Djem apprécie la douceur de vivre en France et continue de rêver à son trône perdu. Mais le Pape veut l’utiliser dans ses projets de croisade et en novembre 1488 les Chevaliers de Jérusalem partent pour Rome. Djem arrive dans la ville le 13 mars 1489.

Mais l'Italie va se trouver secouée par une invasion. Charles VIII, successeur de Louis XI, arrive pour conquérir le royaume de Naples dont il revendique l'héritage. Il lui faut occuper une noblesse par nature très remuante. Surtout, l'Italie, dans tout l'éclat de sa civilisation, brille de mille feux et séduit les Barbares du nord. L'on parle aussi du charme des belles Napolitaines.

En janvier 1495 Charles VIII de passage à Rome exige que Djem l'accompagne dans la croisade qu'il projette contre l'empire ottoman. Ce roi que certains historiens considèrent comme un peu "simplet" a lu beaucoup de romans de chevalerie qui lui ont tourné la tête (il a nommé un de ses fils Orland, soit Roland) et il rêve de refaire les croisades. Vieux fantasme qui continuait de séduire les foules. Certains chroniqueurs enthousiastes qualifiaient d'ailleurs le roi de "Second Charlemagne".

Djem le suit jusqu'à Naples et meurt subitement (tiens tiens, comme c'est bizarre…) à trente-six ans, en 1495. La vox populi accusa sans preuves le Pape ou le Sultan d'avoir ourdi une (sombre) machination.

D'une certaine façon, la mort de Djem fut un bienfait.

Elle évita une terrible guerre civile aux Ottomans et épargna aux Occidentaux de s'engager dans une croisade meurtrière et sans possibilité de victoire chrétienne. 

Au retour de l’expédition, Antoine de Montchenu se distingue en 1495 à la bataille de Fornoue (« alla morte » braillait l’armée n°1, « à la gorge » vociférait l’armée n°2).

La furia francese triompha dans ce qui n'était après tout qu'une retraite.

Avec Montchenu, combattait Louis de Menthon sire de Lornay, un autre Savoyard qui sera retenu en otage par les Suisses mécontents de ne pas être payés.

Antoine fut récompensé par une charge de bailli et mourut en 1500.

get_imgPour approfondir

·          

Nicolas Vatin, Sultan Djem. Un prince ottoman dans l’Europe du XVe siècle d’après deux sources contemporaines : Vâki’ât-i Sultân Cem, Oeuvres de Guillaume Caoursin, Ankara T.T.K. 1997, 379 p.

http://www.geocities.com/ifeaistanbul/publi/fiches/sultan.html 

Jean-Marie Chevrier, Zizim ou l’épopée tragique et dérisoire d’un prince ottoman, Albin Michel 2000 (roman), 288 p.

Fiche : http://www.alapage.com/mx/type=1&tp=F&sv=X_L&l_isbn=2226064109&donnee_appel=GOOGLtype=1&tp=F&sv=X_L&l_isbn=2226064109&donnee_appel=GOOGL  

Autre fiche : http://www.amazon.fr/gp/product/2226064109/402-8893677-3517730?v=glance&n=301061 

Article sur Djem dans l’Alpe n°19, printemps 2003 : http://www.glenatmedia.com/accueil.asp?url=http://www.glenatmedia.com/lalpe/19/mag.htm 

Sur les Ottomans : http://www.cosmovisions.com/ChronoOsman.htm 

Sur la Turquie et l’U.E. : http://www.europe.gouv.fr/actualites_1/dossiers_3/elargissement_candidature_turquie_36/index.html  

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