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Histoire du Genevois
15 décembre 2007

Histoire économique de la région Rhône-Alpes

Monsieur LEQUIN 

Université LUMIERE, LYON

18 mai 1992 

CARACTERES ORIGINAUX de la CROISSANCE ECONOmIQUE

dans la REGION RHONE-ALPES

La région Rhône-Alpes est une très vieille région industrielle, actuellement la deuxième en France. Mais, depuis un certain nombre d’années, on prétend être passé au stade de la société post industrielle, avec, dans l'ensemble de l'ancien monde industrialisé, transfert des activités de l'industrie vers le secteur tertiaire, les services, les activités industrielle s'établissant désormais dans les pays en voie de développement et les « nouveaux pays industriels ». Est-ce qu'en fait, on peut fonder une économie uniquement sur le tertiaire, est-ce que les services ne doivent pas être soutenus par un puissant tissu industriel ?

Ce qui faisait la force de la région Rhône-Alpes, c'était sans doute son rôle directionnel, mais dans le passé, ce rôle directionnel s'appuyait sur une industrie puissante, les deux s'étaient développés simultanément. Une étude du développement sur cinq siècles de la région Rhône-Alpes, montre que cette région a une unité beaucoup plus solide que beaucoup d'autres régions de programme. Et pourtant un certain nombre de ces régions ont été calquées sur les provinces d'Ancien Régime, alors que la région rhônalpine correspond à plusieurs provinces et fragments de provinces, certaines récemment réunies à la France (la Savoie); et cependant les sondages d'opinion montrent que le sentiment d'appartenir à la région est particulièrement fort.

Quels sont les éléments d'unité ? Pas d'unité physique, pas non plus d'unité historique. L'unité de la région parait résulter d'un développement économique précoce, fondé sur l'industrie, que sa variété d’aptitude a rendu capable de s'adapter aux successives révolutions industrielles. Chaque fois il y a eu une réponse régionale, mais décalée dans l'espace. Depuis le XVIe siècle, en Rhône-Alpes, on est passé, un peu comme au Brésil, par des cycles économiques qui se sont succédés, il y a une propension à changer de produit tout en restant fidèle à certaines permanences,

Le caractère original qui ressort le plus à l'analyse est que, jamais, l'économie de la région n'a été repliée sur elle-même. Dès l'origine, elle est à mi-chemin des deux grands pôles de développement européen, les Pays Bas et l'Italie du Nord, sur la route essentielle des échanges. Dès le début, l'économie de la région est caractérisée par ces rapports avec les grands pôles de développement de l'époque.

Au XVIe siècle, une grande industrie lyonnaise est l'imprimerie, dont Lyon est alors l'un des deux ou trois grands centres européens, avec des liens avec la Suisse et l'Allemagne du Sud. Au XVIe siècle Lyon est une ville italienne et allemande, et cela va jouer jusqu'à la fin du XVIe siècle. Au XIXe siècle, avec la soierie, on est dans un cas de figure analogue, mais étendu cette fois au monde entier. La soierie englobe des activités qui intéressent toute la région, de l'élevage du ver à soie à la filature, au tissage, mais sous la direction de la fabrique et de la banque lyonnaise. Mais il y a aussi une emprise mondiale de la soie lyonnaise, entre 1815 et 1890, avec des commissionnaires établis à Londres et à New York, lieux où se fait la mode, avec un réseau de liens dans les deux sens. Le destin économique pour une année d'un fileur de soie ou d'un tisserand isolé dans son village, d'un canut qui n'est jamais sorti de sa Croix Rousse est alors déterminé à Londres ou à New York. L'imbrication de l'ensemble régional et du marché mondial est tout à fait fondamentale.

Peu de productions régionales ont échappé à cette mondialisation précoce, par exemple un peu plus tard l’électro-métallurgie, et l’électro-chimie. Il en est de même actuellement pour l’industrie pharmaceutique, où quelques entreprises moyennes détiennent une part majoritaire du marché pour un ou deux produits. Dès le début, du XVIe au XXe siècle, on assiste donc à une ouverture vers le marché mondial, ce qui explique à la fois la sensibilité aux crises mondiales et la capacité de rebondir dont témoigne cette économie.

Pourquoi ce qui s'est passé en Rhône-alpes ne s'est pas passé ailleurs ?

Cela tient à un certain nombre de facteurs. La première chance de Rhône-Alpes outre sa situation sur de grandes voies d'échanges, c'est de ne pas être favorisée sur le plan agricole. L'agriculture traditionnelle, c'est la céréaliculture, or les pays rhônalpins ne sont pas des pays de froment. L'agriculture traditionnelle y est une médiocre agriculture de subsistance, avec des habitudes alimentaires qui n'étaient pas fondées sur le froment (châtaigne, produits de l’élevage). Les populations rurales dont la subsistance n'était guère assurée, ont dû se livrer à des activités complémentaires ; migrations saisonnières, soit pour des travaux agricoles dans les régions voisines, soit pour des activités de colportage quelquefois lointaines, tels les colporteurs de l'Oisans, colporteurs de grains et de semences jusqu'en Amérique du Sud ! Une seconde ressource d'appoint est l'industrie rurale, le textile, le travail des métaux. Très tôt, la région Rhône-Alpes a pris l’habitude du travail industriel. Lorsqu'à partir de 1650, se sont développés les centres industriels dynamiques, c'est souvent à partir d'une traditions On a là un fait fondamental, la culture industrielle n'est généralement pas quelque chose qu'on puisse créer ex-nihilo, comme en témoigne l'histoire récente des pays du Tiers Monde. Il n'y a guère de pays qui se soient industrialisés sans l'existence d'une tradition ou la possession d'une culture favorable Rhône-Alpes a bénéficié d'une industrialisation très précoce.

Tout le fondement économique de la région et son développement se sont fondés sur l'utilisation d'un héritage, c'est ainsi qu'à Roanne l'industrie fondée sur le coton a rebondie avec le Tergal. Un fait moins évident, mais incontestable et fondamental est la permanence d'un noyau d'entrepreneurs, capables, après une crise, de développer des activités nouvelles. Ces familles d'entrepreneurs ont toujours su ne pas se limiter à la région. A l'accumulation du savoir-faire de ces entrepreneurs, il faut ajouter l'accumulation simultanée des savoir-faire ouvriers.

La vocation industrielle de la région s'est peu à peu enrichie au cours de l'histoire donnant à ses populations une capacité certaine d'adaptation. Cette analyse nous amène à penser que le renouveau de la région passe par une réactivation du travail industriel. Bien sur, on assiste actuellement, dans les pays du Sud-est asiatique, à une industrialisation sans tradition industrielle, Japon excepté. Mais ces pays manquent, au niveau de leur main-d'oeuvre d'une tradition véritable. Seront-ils capables d'évoluer, si nécessaire ?

Quant à la région Rhône-Alpes, la formation de l'Europe parait l'orienter vers la situation d'intermédiaire qu'elle occupait il y a cinq siècles, au Moyen-Age !

Commentaire de l’auteur du blog

J’ai trouvé ce texte dans les archives d’une personne qui avait sans doute suivi les cours de l’université du troisième âge. J’espère qu’on peut les publier sur internet ?

Depuis 1992, date du texte, la situation mondiale a changé. On ne parle plus de « Tiers Monde » mais de « Pays du Sud ». Le développement des pays du Sud-Est asiatique (Corée du Sud, Taïwan..) s’est confirmé. On parle à leur sujet de pays émergents. Mais il est vrai que d’autres pays ont un développement industriel plus timide (Thaïlande, Indonésie…).

La question soulevée au début du texte reste valable : peut-on fonder le développement économique de la région Rhône-Alpes uniquement sur le secteur tertiaire ? Comment faire pour soutenir efficacement le secteur industriel ?

Mais l’analyse de base reste correcte : Rhône-Alpes doit son développement à sa bonne situation sur les routes de passage trans-alpines et vers l’Europe du Sud. Elle a eu la chance de ne pas pouvoir se reposer sur une agriculture riche de type beauceronne ou une mono-industrie type sidérurgie lorraine. Elle a également une vieille tradition de micro-activités industrielles (moulins, battoirs, petites forges, tuileries etc.).

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