Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Histoire du Genevois
15 décembre 2007

Archéologie et toponymie

Note de lecture par Ph. Duret

Elisabeth Zadora-Rio, Archéologie et toponymie : le divorce

in : Les petits cahiers d’Anatole n°8, 2001.

Les historiens ne résistent guère à l’envie de se servir des noms de lieux. L’auteur de cet article, chercheuse au CNRS, nous met en garde dans un article de la revue en ligne du Laboratoire Archéologie et Territoires de Tours.

« L'utilisation de la toponymie comme source de l'histoire de l'occupation du sol remonte, dans le nord et l'ouest de l'Europe, à la fin du 19e s. » Le patriotisme atteignait un niveau excessif et les théories ethniques voire racistes influençaient la discipline historique. En 1890 Arbois de Jubainville affirme que les toponymes formés avec le suffixe -acus, qui ont donné des noms de lieux en -y, -ay, -ac ou -é seraient gallo-romains et désigneraient les emplacements d'anciennes villae : le radical représenterait le nom du propriétaire et le suffixe -acus signifierait "domaine de".

La toponymie permettait de combler les lacunes documentaires. Pour Charles Higounet, historien du Sud-Ouest (1975), le passage de l’antiquité au Moyen Age ayant laissé peu de documents et de monuments, « force est de demander beaucoup à la toponymie et aux vocables de paroisses pour essayer de percer le mystère de l'essor du peuplement ».

Assez vite toutefois, des réserves apparurent.

Les toponymes sont fréquemment déformés par des analyses intellectuelles fragiles (les fausses étymologies, lorsque le terme n'est plus compris), des contaminations et même des erreurs de transcription.

Michel Roblin (le terroir de Paris, 1951) montre que le suffixe -acus avait un sens général, et qu'il était plus souvent associé à des noms désignant le relief, le sol, les plantes, qu'à des noms de personnes. Un toponyme comme Montigny ne serait pas le domaine de M. Montanus mais le "lieu du mont". Il faut confronter la toponymie avec l'épigraphie (inscriptions) et de ne conserver dans les anthroponymes (noms de personnes) que ceux attestés par les écrits contemporains dans la région.

A propos de la datation des lieux, Roblin souligne la faible utilité des toponymes. Le gaulois aurait été parlé jusqu'au 4e s et on considère que le latin reste une langue de communication jusqu'au 9e s.

De plus, à partir des années 1980, l’archéologie a connu de grands progrès avec la prospection sur le terrain et l'archéologie préventive. « On sait, désormais, que dans la plupart des cas, les mêmes zones ont été habitées sans interruption depuis la protohistoire, et ce qu'on cherche à identifier, ce ne sont pas les aires occupées à telle ou telle époque, mais la dynamique de transformation de l'habitat (…) ; le changement est conçu davantage comme (…) dû à des facteurs sociaux et on n'attribue plus qu'un rôle accessoire aux facteurs externes tels que les migrations ou les conquêtes. » Les datations archéologiques deviennent précises. « A partir du moment où, dans un rayon de 2 ou 3 km autour d'un toponyme dit gallo-romain (…) on trouve 5 ou 10 sites de la même époque et où on est susceptible d'en trouver tout autant autour de toponymes attribués à d'autres époques (…) l'étude de la toponymie n'apporte rien. » Au Danemark des recherches montrent que les datations toponymiques ne sont pas valables pour un habitat précis, l'hypothèse étant que les toponymes ont suivi les habitats au cours de leurs déplacements jusqu'à leur fixation à l'emplacement des villages actuels. A supposer qu'on accorde foi aux datations proposées par les linguistes, l'étude des toponymes permettrait de dire, dans le meilleur des cas, que le nom de tel village révèle des chances pour que dans un rayon de quelques centaines de mètres ait existé un site de cette époque. Les recherches menées en Angleterre aboutissent à un constat tout aussi négatif.

« La seule utilisation de la toponymie qui ait gardé toute sa validité (…) est celle des microtoponymes cadastraux (…) : ainsi la pièce rouge, la vigne rouge, les terres noires pour les sites gallo-romains, le châtellier ou la motte pour les fortifications de terre, le martray ou les pierres plates pour les nécropoles du haut Moyen Age etc. ». Il me semble en effet que l’utilité des microtoponymes s’explique par le fait que contrairement aux noms de villages ou hameaux, ils ont été fixés non par les riches, les puissants et les clercs qui les servaient mais par les agriculteurs travaillant le terrain.

La thèse de Blandine Vue sur la Haute-Marne (1997) « a montré l'importance déterminante des individus dans la transmission écrite (…) : certains [toponymes] réapparaissent en effet après des périodes de latence. Son étude de la fabrication du cadastre napoléonien montre à quel point celui-ci a provoqué une rupture dans la microtoponymie, due au fait que les géomètres étaient souvent étrangers à la fois à la région et au monde rural. (…) Les microtoponymes sont en partie indépendants du découpage parcellaire. (…) La désignation a valeur de repère, et tend à privilégier l'exceptionnel, l'élément rare. » *

A La Fontaine (Vulbens), le microtoponyme Mortavi, transmis non par les archives mais par la mémoire orale, désigne peut-être la maladrerie dont parle un document du XIIIe s. (cf. mon article in Echos saléviens n°2 p. 69). Les fouilles préventives de 2005 n’en ont pas trouvé trace mais peut-être n’a-t-on pas fouillé au bon endroit.

Au Vuache, mes recherches et mes discussions avec E. et J.M. Grandchamp, J. Rosay, Ch. et M. Benoit m’ont apporté des microtoponymes présents dans le terrier seigneurial de 1447 et qui disparaissent ensuite parce que les rédacteurs du cadastre de 1730 n’avaient pas jugé bon d’enquêter plus en détail ou parce que leurs interlocuteurs paysans se méfiaient. Il faudrait pouvoir faire une étude socio-psychologique de leurs entretiens.

« Il me semble que toute tentative d'interprétation de la microtoponymie comme reflet direct de la réalité, qu'il s'agisse d'habitat ou de paysage, n'a guère de sens » conclue Elisabeth Zadora-Rio. « L'usage de la toponymie comme substitut de l'archéologie me paraît définitivement caduc ».

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité