Le regard de Kannon, exposition
Le regard de Kannon
Exposition au Musée d’Ethnologie de Genève (MEG)
Jusqu’au 20 juin 2010
http://www.ville-ge.ch/meg/expo15.php
Faut-il représenter la divinité et comment ?
Vieux débat qui agite depuis longtemps les grenouilles de bénitier de tous poils.
Pour les orthodoxes de tendance iconoclaste, les protestants, les juifs et les musulmans, l’être humain ne doit pas représenter dieu, il s’agit d’un tabou, représenter c’est créer et il n’y a (soit-disant) qu’un seul Créateur. L’image est fille de Satan. Au contraire pour les cathos et les orthodoxes iconodoules, l’image rend hommage à l’Eternel.
Les Asiatiques, plus fins que les Occidentaux, ignorent ces querelles de clocher (ou de minaret) et résolvent de façon plus subtile la question. La divinité étant par définition impossible à représenter dans sa vérité authentique car très différente de ce que nous imaginons, elle choisit de se manifester par mille visages, mille avatars. Faites votre choix. As you like. Cela n’a aucune importance.
Les Asiatiques se montrent plus habiles que les lourdauds que nous sommes. Il nous faudra du temps pour nous hisser à leur niveau.
Vive la mondialisation.
Vive l’Asie. La vérité est ailleurs.
A bas la défense de l’identité nationale ou européenne.
Pour les Asiatiques du Tibet au Japon, en passant par l’Indochine et l’Indonésie, Kannon est l’incarnation de la compassion universelle, ou si vous préférez, l’émanation du regard de compassion d’un bouddha. Kannon renonce au paradis afin d’aider tous les autres à y accéder eux aussi. Sympa, la meuf. En somme Kannon est socialiste. Il (elle) entend les cris de compassion des souffrants et soulage leur peine. En sanskrit elle se nomme Avalokitasvara (l’observateur des voix) et Avalokitesvara (le souverain qui abaisse son regard). Elle balaye l’univers de la lumière de son regard de compassion. C’est la Vigie des voix du monde.
On le représente d’abord comme un homme puis au Moyen Age il se féminise. Détail sans importance. Il est pareil, il est différent, ce n’est pas contradictoire.
On reçoit la protection de Kannon dans divers moments de l’existence comme la naissance des enfants, la préparation d’un voyage etc. Au moment de la mort elle guide le défunt qui a prononcé son nom vers la terre pure du Bouddha Amida (sorte de Paradis).
Une célèbre marque d’appareil photos, scanners etc a choisi son nom comme emblème.
Kannon prend différents noms et visages.
Voici par exemple la petite statue de Padmapani (porteur de lotus), forme originelle de Kannon au Népal (XVIIe s.). Le lotus blanc représente l’Eveil, la distance par rapport aux passions destructrices. Il émerge de la vase pour monter vers la surface et éclore sa fleur.
Au Cambodge on le (la) nomme Lokesvara.
Dans la tradition lettrée chinoise, Kannon a trente-trois incarnations : Kannon porteur de lotus, Kannon « la courtisane », Kannon au costume blanc, Kannon à tête de cheval, Kannon au lasso infaillible, Kannon aux mille mains etc.
A l’époque de Charlemagne, Maître Ungan Muju posa la question suivante : « Que peut bien faire Kannon de ses innombrables mains et de tous ses yeux ? ». Question frappée au coin du bon sens. Ce à quoi, un moine chinois du mont Dogo, Shuitsu, répondit : « C’est comme un homme dans la nuit qui retourne sa main pour en faire un oreiller… ».
En clair, ces mains, visages, yeux etc. veulent dire que nous ne devrions jamais nous laisser à penser que les choses puissent finies. Le corps de Kannon est plein de mains car Kannon est non limitée. Tout se renouvelle en permanence, tout est possible et pour tous. La réalisation du « temps » de Kannon ne dépend ni d’un pays, ni d’une époque, ni d’une classe sociale. Chacun peut s’accomplir. Le paradis est à portée de main, il suffit de s’éveiller.
C’est ce qu’avaient compris les beatniks et les hippies.
Au Japon on honore Kannon dans des pèlerinages comme celui des Trente-Trois Temples de l’Ouest. Il se développe à partir du XVIIe siècle et surtout après 1945 où il sert de baume réconfortant pour un Japon meurtri par la défaite, l’occupation américaine et le bouleversement déstabilisant qui s’ensuit.
Dans les monastères ou les demeures privées, les moulins à prières démultiplient les prières. D’un seul tour de « manivelle » on peut en expédier des milliers. Pratique, non ?
Les chapelets à cent huit grains permettent de compter les passions à éliminer (il y en a pas mal, comme vous le constatez). Les sitstres, bâtons munis d’anneaux métalliques, aident le pèlerin à garder le rythme lors des incantations.
La récitation du sutra de Kannon permet de se libérer de la souffrance et des dangers.
Le pèlerin porte un costume particulier, blanc. A chaque monastère visité, on imprime un cachet sur le dos de sa chemise. A la fin de l’expo on peut aussi imprimer un tampon certificat sur un marque-pages.
Les pèlerins collectionnent des ofuda, jolies images pieuses sur du papier semi transparent. Elles sont suspendues dans une salle du musée.
Du début à la fin, une agréable musique berce le visiteur dans son cheminement.
Le dernier couloir est semé de fins cailloux blancs, comme dans un monastère bouddhiste.
Sources :
- Notes persos.
- Propos du révérend Kakudo, recueillis par Jérôme Ducor, in Totem n°56, journal du musée d’ethnographie de Genève, mai-août 2010.