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Histoire du Genevois
10 janvier 2008

La prolifération des maisons individuelles

La critique de l'habitat pavillonnaire par Le Corbusier

Beaucoup de gens pensent compenser l'usure nerveuse et les mille désagréments de la ville en habitant de petites maisons à la périphérie. Ce besoin d'évasion est légitime : le refus des conditions actuelles de nos villes est à l'origine même d'une doctrine que partagent tous les grands architectes actuels. Mais comment cette évasion se traduit-elle dans les faits ? Par la proli­fération (pseudo-évasion !) anarchique des petites villes rongeant la nature et dégradant les belles communes rurales, par les frais vertigineux (transports publics, réseau routier compliqué, canalisations, PTT, etc.) qu'entraîne pour l'Etat le gonflement malsain de nos villes. Ce gigantesque gaspillage — la désorganisation du phénomène urbain — constitue l'une des charges les plus écrasantes de la société moderne. 50 % du fruit du travail général est prélevé par l'Etat pour payer ce gaspillage. Une occupation rationnelle d'un territoire permettrait à sa population de travailler deux fois moins.

Evidemment la petite maison ("ma maison", "mon chez-moi"), flanquée de son jardin à fruits et légumes et de son arbre fraternel, occupe le cœur et le cerveau des foules, permettant aux hommes d'affaires de réaliser des bénéfices substan­tiels en lotissant des terrains, en fabriquant des portes et des fenêtres, en construi­sant des routes équipées de canalisations, des tramways, des autobus, des métros, des automobiles, des vélos, des motocyclettes nécessaires à la réalisa­tion du rêve virgilien.

La petite maison écrase la maîtresse de maison sous les charges domestiques, écrase les finances des municipalités sous les charges d'entretien. Il reste toutefois au crédit de la maison familiale la notion valable et même sacrée de l'unité de la famille cherchant à se replonger dans "les conditions de nature".

Ces conditions de nature sont inscrites sur l'une des Tables de la Loi de l'urba­nisme contemporain, dont les trois matériaux sont l'air pur, le soleil et la verdure. Mais l'autre Table rappelle que le cycle solaire est court : vingt-quatre heures fatidiques règlent les agissements des hommes en fixant la limite admis­sible à leurs déplacements. La loi de vingt-quatre heures sera la mesure de toute entreprise d'urbanisme. Les fomentateurs des cités-jardins et les responsables de la désarticulation des villes ont proclamé bien haut : à chacun son petit jardin, sa petite maison, sa liberté assurée. Mensonge et abus de confiance ! La journée n'a que vingt-quatre heures. Cette journée est déficiente. En opposition à ce grand dispersement de panique, une loi naturelle doit être évoquée : les hommes aiment à se grouper, pour s'entraider, se défendre et économiser leurs efforts. S'ils se dispersent, comme c'est le cas aujourd'hui, dans les lotissements, c'est que la ville est malade, hostile, et qu'elle ne remplit plus ses devoirs.

Comment concilier ces deux axiomes ? Comment remédier à un scandaleux gaspillage de temps tout en "inscrivant la nature dans le bail" ? Comment éviter que nos villes s'étendent et se diluent, perdent leur forme et leur âme ?

Le Corbusier, Manière de penser l'urbanisme, 1946, rééd., Éditions Gonthier, 1963.

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